Après avoir cliqué sur les titres...Faites défiler vers le bas
Festival Singulièrement Vôtre
Petit aperçu du lancement FSV 6# ... C.M
Vous trouverez ici...
Sites qui parlent d'art singulier, hors normes...
Fichiers visite
Docs à télécharger
« Sur des traces hors normes… »
- des informations et des liens pour approfondir le sujet avant ou après votre venue.
- Quelques références et notions sur ce qu’est l’art singulier, l‘art brut, l’art hors normes
- des fichiers à télécharger pouvant servir de pistes de travail pour les classes et préparer au mieux votre visite
Quelques points de vues, des tentatives de définitions
…des idées, reçues, préconçues ou non …
sur l’art brut,
l’art singulier,
l’art insolite, hors normes, à la marge…
Extraits d’articles sur le net et ailleurs
QU´EST-CE QUE L´ART SINGULIER ?
Art asilaire, Art brut, l ´Art singulier, autant de définitions que Jeanine Rivais, critique d´art, tâche d' exposer dans sa conférence sur une mouvance de l´art contemporain en marge de l´art officiel.
L’ART ASILAIRE
Avant d’en venir à la définition de l’Art singulier, nous parlerons de l’Art asilaire.
L’art des aliénés, « L’art des fous », comme il était autrefois brutalement appelé, est entré au musée dans les années 40, sous l’impulsion de Jean Dubuffet qui a créé pour lui l’expression « Art brut ». Mais il était depuis plus de 50 ans systématiquement exploré ; et depuis plusieurs siècles au centre des intérêts et des perplexités de nombreux philosophes et médecins. L’Art asilaire est produit par des êtres souffrant de ce qui a été baptisé « schizophrénie », maladie qu’a explorée au début du XXe siècle, pour l’hôpital d’Heidelberg, le psychiatre allemand Prinzhorn. Dans ce cas clinique, Prinzhorn s’est intéressé à l’individu qui, entraîné vers un repli autistique est malgré tout capable de remonter la pente ; et, sans se débarrasser jamais de sa souffrance, d’exploiter pour se reconstruire une expression picturale intuitive. Insouciante par conséquent des définitions et des exigences de la création classique ; porteuse de tant de richesses et de formes tellement inattendues, apparaît alors cette production artistique à caractère obsessionnel qui a prédominé dans le domaine plastique, sans doute parce que l’exigence d’un code y est moindre qu’en poésie.
« La maladie ne donne pas de talent, écrit Prinzhorn, mais presque tout individu est capable de constituer des formes complexes. Ceux qui ont ainsi pu briser les barrières de l’autisme ont amorcé une marche vers un mieux-être. Figures pétries dans de la mie de pain, statues taillées dans des matériaux de fortune, dessins tracés sur du papier hygiénique, etc. sont les manifestations les plus courantes de cette lente remontée. »
Une telle démarche n’a, d’emblée, été ni évidente ni facile. Et la plupart des œuvres de l’hôpital d’Heidelberg que fut chargé d’étudier Prinzhorn et d’où est partie toute cette aventure, appartiennent à une époque où, face à l’indifférence, voire à l’hostilité des médecins, le malade devait ruser, travailler en cachette pour réaliser ce qu’il lui « fallait » exprimer. Dès qu’il avait découvert cette possibilité, son volontarisme et son acharnement à continuer laissent penser que cette création autistique lui apparaissait comme le seul recours à l’hospitalisation prolongée et à l’absence de toute aide thérapeutique. Ainsi sont nées « dans la clandestinité » les œuvres de Wölfli, Aloïse, Brendel, Walla, etc. qui en ont été les exemples les plus remarquables.
Certes, dès le XIXe siècle, de nombreux hôpitaux avaient constitué leurs « collections ». Mais elles étaient les équivalents des bocaux conservés dans les musées pathologiques ! On trouvait avec les dessins, les corps étrangers avalés par les malades, des spécimens d’écritures ou de tatouages, des armes improvisées, etc.
Et toujours, la folie restait considérée dans son étrangeté qui disqualifiait les œuvres des malades : Ainsi, au début de ce siècle, Marcel Réja, dont le livre fit autorité et que connaissait Prinzhorn, désignait dans L’Art chez les fous, un ailleurs, un monde où l’on peut trouver « presque toujours une formule d’art plus ou moins archaïque, attestant parfois d’un grand talent… mais dans lequel on ne peut guère relever que des lueurs plus ou moins isolées, auxquelles il manque toujours quelque chose pour prononcer le mot “ génie ”. » Néanmoins, ces regains d’intérêts et ces changements de mentalités interviennent au moment-même où en France, une nouvelle vague artistique propose dans les galeries toutes sortes d’objets singuliers : Cézanne découvre la sculpture nègre. En 1907, Picasso présente Les Demoiselles d’Avignon. Fauves, Expressionnistes, Surréalistes clament l’influence qu’ont sur eux les arts primitifs… Etc. Dès lors, il devient inutile de continuer à endiguer derrière des murs d’hôpitaux, une partie de ces créations étranges. Le Dr. Morgenthaler publie (1921) une importante étude sur Wölfli qui précède de peu le livre de Prinzhorn (1924) d’où j’ai tiré une partie de cette documentation.Expressions de la folie, tel est le titre du livre, marque la fin de l’exclusion. On assiste désormais à l’avènement de l’artiste schizophrène. Les documents jusque-là traités comme « pathologiques » fuient les dossiers asilaires et sont considérés comme un art à part entière. Dès la parution du livre, des artistes comme Max Ernst, Paul Klee, Kubin, émerveillés de ce qu’il leur révèle, saluent comme leurs pairs ces créateurs anonymes « qui s’étaient mis à la tâche, en toute ignorance, derrière les murs de leurs asiles ! »Des poètes célèbrent ces talents nouvellement découverts, comme Henri Michaux qui compose des pages magnifiques consacrées aux « Ravagés » ! À propos d’Aloïse, par exemple, tombée follement amoureuse de l’Empereur Guillaume II, aperçu lors d’un défilé. Elle mène en rêve avec lui une aventure exaltée, qu’elle va développer pendant 40 ans d’enfermement, sous forme de pages entières d’écrits et de dessins aux crayons de couleurs. À propos d’Aloïse, donc, le poète écrit : « Celle pour qui seul l’amour d’un prince royal entr’aperçu derrière la grille d’un parc magnifique, aurait paru suffisant, reçoit, isolée, méprisée, en habits misérables, dans l’espace étroit d’une chambre d’internée, l’inouïe revanche d’une liberté incomparable ».
DANS CES CONDITIONS , QU'EST CE QUE L'ART BRUT ?
Jean Dubuffet, « créateur » de ce mot qu’il a très vite interdit d’employer pour des œuvres autres que celles de sa collection, le définit, revient sur ses nuances, le peaufine dans tous ses livres s’y rapportant, comme Prospectus et tous écrits suivants (4 volumes), et surtout L’Homme du commun à l’ouvrage.
Il est donc inutile de prétendre inventer en la matière. Mieux vaut citer l’auteur. Voici un extrait d’un texte publié en 1947 et intitulé L’Art brut :
« Il y a, dit-il, il y a (partout et toujours) dans l’art, deux ordres. Il y a l’art coutumier (ou poli) (ou parfait) (on l’a baptisé, suivant la mode du temps, art classique, art romantique ou baroque, ou tout ce qu’on voudra, mais c’est toujours le même) ; et il y a (qui est furtif comme une biche), l’Art brut…L’aventure est en marche. Une marche qui, de nos jours, est quasiment révolue : En effet, l’art-thérapie devient une routine. Intégrés au monde extérieur, les malades bien souvent créent non plus pour surmonter leur intolérable douleur, mais pour réaliser ce que l’on attend d’eux ! Par ailleurs, les neuroleptiques adoucissent les phases aiguës de la maladie. De plus en plus, les séjours en hôpitaux psychiatriques sont réduits au minimum. Le phénomène d’exclusion qui frappait les malades a grandement diminué : Voilà les schizophrènes inclus dans la cité ; invités à des apprentissages similaires à ceux des gens dits « normaux »! Alors, s’il faut pour eux, se réjouir de ces améliorations sociales, médicales et psychologiques, il faut aussi admettre que leur production est désormais en voie de disparition ; et par toutes les influences culturelles et médiatiques qui s’exercent sur ces libérés de leurs murs, des mots comme art asilaire ou art brut sont pratiquement devenus obsolètes.
Formuler ce qu’il est, cet Art brut, sûr que ce n’est pas mon affaire. … L’Art brut est un art modeste et qui souvent ignore même qu’il s’appelle “ art ”. »
En Octobre 1949, dans L’Art brut préféré aux arts culturels, il reprend :
« … Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique ; chez lesquelles donc, le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part ; de sorte que leurs auteurs y tirent tout de leur propre fond… Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur ; à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art, donc, où se manifeste la seule fonction d’invention… C’est pourquoi nous ne voyons aucune raison de faire, de l’art des fous, un département spécial… L’acte d’art, avec l’extrême tension qu’il implique, peut-il jamais être normal ? Notre point de vue est donc que la fonction d’art est dans tous les cas la même ; et qu’il n’y a pas plus d’art des fous que d’art des dyspeptiques ou des malades du genou. »
En somme, et bien qu’il s’en défende, Dubuffet définit de façon très précise ce qu’il entend par Art brut : un art où le besoin de création est si violent qu’il entraîne de façon rédhibitoire l’individu vers l’extériorisation de cette pulsion ; un art spontané, primal, créé du tréfonds de leur instinct par des individus idéalement vierges de toute influence ; des gens du commun idéalement acculturés ! Peut-on imaginer que ces conditions idéales aient réellement existé, même à une époque où le flux d’apports extérieurs était tellement moindre qu’aujourd’hui ; même si les créateurs qui ont intéressé Dubuffet étaient en milieu asilaire ou carcéral ? Il semble bien que Dubuffet ait défini une utopie, son utopie ; et œuvré pendant près d’un demi-siècle à s’en rapprocher le plus possible. L’on peut penser qu’il a vécu des moments difficiles lorsque, à la fin de sa vie, comprenant qu’il serait aberrant de s’en tenir strictement à cette définition restrictive, il l’a élargie à des créations d’artistes extérieurs à ces univers contraignants. Et que, de la Collection originelle de l’Art brut créée en 1947, et revenue après un détour par les États-Unis, séjourner dans les sous-sols de la galerie Drouin à Paris, il a séparé environ 2 000 œuvres qu’il considérait comme des déviances de cet Art brut pour les regrouper d’abord sous le titre de Collections annexes, puis sous celui, définitif, de Neuve Invention. L’Art singulier Chapeautant l’Art brut et tous les labels ultérieurs à ce mot, nous en arrivons à l’Art singulier. Nous partirons, pour essayer de cerner sa définition, d’une phrase de Gérard Sendrey, fondateur du Musée de la Création franche de Bègles, applicable à toutes les formes d’arts : « Personnellement, écrit-il, je me demande ce que pourrait être un art qui ne serait pas singulier, ou qui ne serait pas hors-les-normes ? C’est la nature de l’œuvre artistique d’affirmer sa différence. La création ne peut être banale, ni obéir à des règles. » On pourrait donc penser que l’expression « Art singulier » soit un pléonasme ! Sauf que cet assemblage a été accepté par le tandem Jean Dubuffet – Alain Bourbonnais pour distinguer, face à des gens ayant la volonté bien définie d’être considérés comme des artistes, une autre catégorie inconsciente d’avoir du talent, et uniquement poussée par le besoin vital d’exprimer son « moi profond » ! Par voie de conséquence, il s’agissait de donner ses lettres de noblesse à un art complètement différent de celui dont tout le monde avait jusqu’alors conscience, conventionnel, issu des écoles, plongé dans la culture et l’officialité, et qu’il est convenu d’appeler « Art contemporain » ! Mais nous devons expliquer pourquoi Alain Bourbonnais ne désignait pas les œuvres qu’il présentait, sous le titre devenu incontournable d’Art brut ? Pourtant, il entrait en scène au moment où l’État français ayant refusé sa Collection, Jean Dubuffet venait d’en faire don à la Suisse, et elle était sur le point de quitter la France pour Lausanne. Et, heureux qu’Alain Bourbonnais, prenne avec son « Atelier Jacob », galerie parisienne qu’il venait d’ouvrir, le relais de cette Collection, il lui avait prêté des œuvres, en particulier celles d’Aloïse Corbaz.Cette nécessité tenait au fait que Jean Dubuffet, comme nous l’avons dit plus haut, avait, dès l’origine, interdit l’utilisation du label « Art brut » pour toutes les œuvres, autres que celles de sa collection, fussent-elles des mêmes créateurs. Et, malgré la complicité très vive née entre les deux hommes, Il fallait à Alain Bourbonnais trouver une nouvelle appellation.D’ailleurs, très vite ce dernier s’était lui-même mis à prospecter, mais il avait élargi le champ des recherches, en allant dans la campagne, et récoltant non pas des œuvres psychiatriques, mais des œuvres de solitaires, d’inconnus au-delà des limites de leur village. (Où on les considérait d’ailleurs bien souvent comme des fous ; à tout le moins comme des marginaux !) Finalement, ces productions étaient si proches des créations asilaires que Jean Dubuffet lui écrivait : « Je ne m’explique pas comment vous arrivez à dénicher tous les si divers et tous excellents opérateurs qui se retrouvent dans l’orbite de votre atelier Jacob. » Néanmoins, il maintenait sa position, et eu égard à l’exclusivité qu’il exigeait, il fallait redéfinir les œuvres découvertes par Alain Bourbonnais. Dès le début de l’atelier Jacob, tous deux avaient, avec l’aide de quelques amis concernés par l’Art brut, prospecté de nombreux vocables. Mais le problème s’était vraiment posé dix ans plus tard, en 1983, au moment où Alain Bourbonnais, ayant conscience de ne plus pouvoir, à Paris, élargir le champ de son public, ouvrait à Dicy son musée qu’il appelait La Fabuloserie. Furent alors évoquées les dénominations les plus diverses : Art spontané, Invention hors-les-normes, Art hors-les-normes, Productions extra-culturelles, etc. Roger Cardinal, écrivain d’origine anglaise, avait par ailleurs proposé : Art isolé, Racines de l’Art, Franges de l’Art, Art marginal, etc. D’autres, pris au jeu, avaient pimenté la recherche : le poète André Laude ne suggérait-il pas les Imagitateurs ? Finalement, Alain Bourbonnais avait, pour résumer la singularité de sa collection, retenu Art hors-les-normes : Il était architecte ; et venait de construire, entre autres monuments, une église à Caen. D’où cette réflexion : « Art hors-les-normes qui sonnait, disait-il, comme la basilique hors les murs ».Entre temps, en 1978, Alain Bourbonnais et Michel Ragon (écrivain, et critique d’art) avaient été les instigateurs d’une très importante exposition au Musée d’Art moderne de Paris intitulée les Singuliers de l’Art, qui avait connu un succès énorme puisque, en quelques mois, elle avait été visitée par plus de 200 000 personnes. « Singuliers de l’Art », voilà une autre désignation qui convenait bien à cet Art brut ! Et il existait donc, désormais, pour le définir, deux synonymes : Art hors-les-normes et Singuliers de l’Art. Seulement, au fil du temps, l’expression s’est inversée ; est passée de l’artiste à la discipline Singuliers de l’Art est devenu Art singulier
Elle est désormais employée soit au singulier l’Art singulier, par opposition à l’Art contemporain ; soit au pluriel les arts singuliers pour essayer d’inclure toutes les nuances apparues depuis la naissance de cette dénomination. À savoir : l’Art immédiat, les Friches de l’Art, La Création franche, l’Art cru, l’art intuitif, l’Art spontané, l’Art médiumnique, l’Art du bord des routes, l’Art insitic (inné), l’Art différencié, l’Art en marche, l’Art en marge. Il y en aurait d’autres, sans qu’il soit vraiment pensable de délimiter leurs spécificités, puisqu’il y a pratiquement autant de démarches que de créateurs. Mais quelle que soit la variété de toutes ces tendances, elles forment une mouvance porteuse de tant de psychologie, de poésie innée, d’inventivité, qu’elles s’imposent en une esthétique, une universalité dont l’évidence a accompagné la seconde moitié du XXe siècle !
DÉFINITIONS
Vous pouvez donc retenir des expressions évoquées plus haut :
• qu’elles ont été créées en raison de l’interdiction de Dubuffet d’utiliser le terme « Art brut » ;
• puis qu’elles ont été liées, à mesure de l’élargissement des propositions, à la volonté de gens fortement concernés qui ont pris en mains les destinées de ces tendances
• et qu’elles concernent toutes les tendances marginales.
L’Art asilaire qui est la dénomination originelle pour désigner une création de gens internés en hôpitaux psychiatriques, créant pour souffrir moins, et n’ayant aucune conscience de produire des œuvres d’art.
L’Art brut mot créé par Dubuffet, qui désigne la même catégorie de créateurs que précédemment, réunis dans la Collection de l’Art brut implantée à Lausanne ; auxquels se sont ajoutés ultérieurement les créateurs en milieu carcéral puis ceux de diverses origines classées dans la Neuve Invention.
Les Singuliers de l’Art, devenus l’Art singulier qui chapeaute toutes les dénominations apparues dans le dernier quart de siècle, y compris bien sûr
L’Art naïf et l’Art populaire dont nous n’avons pas parlé ici.
L’Art hors-les-normes choisi par A. Bourbonnais, qui est synonyme d’Art singulier.
Il nous faut aussi citer deux dénominations usitées dans les pays anglo-saxons :
Outsider Art qui signifierait littéralement « art extérieur, étranger ». À l’origine, il a exactement le même sens que l’Art brut, et il est maintenant, synonyme d’Art singulier. Plus personne ne le traduit. L’expression s’est francisée, et chacun dit l’Art outsider. Ce mot a été créé par Roger Cardinal qui a écrit en 1972 un ouvrage intitulé Outsider Art. Et qui a organisé en Angleterre la première exposition d’Art brut qui y ait eu lieu. Plus récemment a commencé d’être employée l’expression Raw Art qui est la traduction littérale de Art brut.
Nous avons enfin le Folk Art, terme usité surtout aux États-Unis et qui signifie « Art populaire ». Mais il désigne là-bas toutes les formes d’art proches de l’Art brut, au lieu de se cantonner comme très souvent en France, à une forme de création très proche de l’artisanat rural. Nous parlons par exemple d’Art populaire à propos de la collection présentée par le Musée des Arts et traditions populaires de Paris ou au Musée de Laduz, Yonne.
INSTITUTIONS ET MÉDIATEURS
Il faudrait maintenant évoquer le rôle des hôpitaux psychiatriques dans l’évolution développée plus haut. Certains, comme celui de Ville-Evrard ont compris très tôt l’intérêt de ce qui a été appelé Art-thérapie dans l’apaisement des souffrances des patients. D’autres ont suivi plus ou moins tardivement. Dans ces ateliers d’Art-thérapie sont produites des œuvres souvent très proches de l’Art brut, donc lourdement psychanalytiques, même si la présence d’un animateur peut parfois influencer les patients. Dans le même esprit, se sont ouverts les CREAHM (Créativité et Handicap Mental) qui, partis de Belgique, sont en train de se développer en France.
Il faudrait également évoquer les sites, lieux magiques créés par des auteurs qui sont la quintessence de l’Art singulier puisqu’ils ne se sont pas contentés de réaliser des objets, ils ont bâti ou modifié les lieux destinés à les abriter.
Nous citerons :
– Le Palais idéal du Facteur Cheval à Hauterives dans la Drôme.
– La maison de Picassiette à Chartres.
– L’Étrange Musée de Robert Tatin près de Laval.
– La Maison de Danielle Jacqui, Celle qui peint, à Pont de l’Etoile dans les Bouches-du-Rhône.
– La liste serait longue de tous les autres, moins grands, moins connus, comme Le Jardin de Rosa Mir à Lyon, La Maison Raymond Raynaud à Sénas, et celle de Mariette à Saint-Laurent-du-Pont dans l’Isère, etc.
Il faudrait évoquer encore les musées consacrés à toutes les tendances de l'Art singulier :
– Le Petit Musée du Bizarre, le plus ancien de tous, proposant des œuvres d’art populaire paysan.
– La Collection de l’Art brut et la Neuve Invention, créée avec le concours de Dubuffet ; et de ce fait le lieu de référence de tout l’Art brut.
– L’Aracine, Musée d’Art brut, implanté à Villeneuve d’Ascq.
– La Fabuloserie de Dicy, (Yonne), musée d’Art hors-les-normes.
– L’Art cru Museum, de Bordeaux, largement consacré à des œuvres psychiatriques.
– Le Musée de la Création franche, de Bègles près de Bordeaux.
– La Collection Cérès Franco d’Art contemporain, de Lagrasse (Aude).
– Le Musée de l’Art en Marche de Lapalisse (Allier) et Hauterives (Drôme).
Évoquer enfin les revues ou fanzines*, qui relatent les événements essentiels de cet Art singulier dont vous avez quelques exemplaires sur la table.
(* Fanzine mot-valise formé de « fan », admirateur, et de « magazine ».)
– Le Bulletin de l’Association Les Amis de François Ozenda, de Jean-Claude et Simone Caire. Le plus important en volume et en diversité d’information et surtout historiquement, puisqu’il en est la mémoire et les archives depuis trente-cinq ans.
– Gazogène, de Jean-François Maurice.
– Les Friches de l’Art, de Joe Riczko.
– Regard, de Marie Morel.
– L’Amateur, d’Alain et Blanche-Marie Arnéodo.
– Les Graph’zines de Paquito Bolino et Caroline Sury.
MENACES D'UN ÉLARGISSEMENT
Nous achèverons ici ce parcours sommaire du monde singulier, en disant avec un véritable regret que le tableau brossé de son évolution marginale est de moins en moins idyllique. Que, malgré la fidélité de nombre de créateurs à sa singularité, celle-ci est de plus en plus menacée. Le seul garde-fou actuel sont les musées : s’ils ont élargi la notion de singularité à ces créateurs non-autodidactes, ils veillent néanmoins à ne collectionner que des œuvres singulières. Et ces collections sont la mémoire vive de cette mouvance.Menacée, donc, la Singularité, par les artistes eux-mêmes qui, animés du seul souci de vendre ne se contentent plus du plaisir de créer mais reproduisent trop souvent l’attitude des artistes et des voies officiels, soucieux de réussite. Leur volonté d’exposer « partout » les place en porte-à-faux par rapport à l’attitude singulière. Nul, en effet, n’est doté du don d’ubiquité. Comment être singulier au sens originel, c’est-à-dire hors des voies piétinées ; et dans le même temps, les piétiner soi-même ? Il faut donc admettre que même le terme d’Art singulier est lui aussi en train de devenir obsolète.
Et deux revues qui ne sont pas des fanzines : – Artension créé par Pierre Souchaud, qui consacre une large place aux arts marginaux, mais sans omettre l’Art contemporain. – Raw Vision, de John Maizels, revue de langue anglaise qui parle essentiellement d’Art outsider anglo-saxon.
Menacée, encore, la Singularité, par la volonté de récupération de gens, des galeristes en particulier, qui ne perdent pas le nord et qui, ayant exposé sans état d’âme des représentants des multiples tendances de ce demi-siècle (Art conceptuel, Art pauvre, Minimal Art, etc.) se rendent compte qu’elles ne font plus recette et exposent désormais avec la même absence de vergogne ces créateurs jusque-là marginaux. Pour ne rien dire de certains journalistes qui ont fait leurs beaux jours de ces mêmes circuits, et qui, sentant le vent tourner, mais incapables de changer de mentalité, traitent de la même façon que l’art officiel froid et cérébral, cet art marginal chaleureux et vivant.
Et, dans le même esprit, menacée, la Singularité, et c’est là le pire danger, par l’intrusion d’artistes formés dans des écoles, et en mal d’inspiration. N’ayant rien contre des mimétismes susceptibles de leur ouvrir des portes (ces fameux mimétismes dont l’absence dans l’Art brut avait suscité l’intérêt de Jean Dubuffet), ils se mettent à « faire de l’Art brut ». (Vous sentez bien, après ce que nous venons de développer, l’incongruité de cette expression !) Et même, de décrocher dans des écoles auto-proclamées compétentes, des « diplômes d’Art brut », ce qui est le comble de l’aberration !
Restons malgré tout optimistes ! Espérons que longtemps encore tous ces courants hors-les-normes enrichiront, hors des sentiers battus, la création picturale mondiale !
Jeanine Rivais
L´ART SINGULIER OU LE COMPLEXE DE QUASIMODO
Dans Aperçus, la revue culturelle de la région Franche-Comté, Françoise et Dominique Sablons, à qui Laurent Decol, directeur des Affaires culturelles régionales, donnait carte blanche pour présenter l´Art singulier et l´association Biz´Art-Biz´Art...
" L’Art singulier ou le complexe de Quasimodo … Un art de rupture avec l'esthétique, les normes et le cadre social dans lequel il s'inscrit. Réfractaire à l’orthodoxie culturelle L’Art singulier prolifère dans les maquis de l’art contemporain. Répandu dans le monde entier, il englobe une insaisissable catégorie d’artistes
Joyeux et insatiables créateurs
Que les Singuliers soient officiellement reconnus ou que leurs productions aient une valeur marchande n’est pas le problème immédiat ! Insatiables créateurs, ils ignorent les réseaux incapables de les représenter. Ils s’organisent et choisissent de nouveaux médiateurs pour défendre leur existence. Biz’Art-Biz’Art est l’un d’entre eux. La revue ARTENSION en est un autre. (Si vous ne la connaissez pas courez vite vous la procurer.) Pierre Souchaud, son directeur, présente en ces termes l’Art singulier : « Le développement et la reconnaissance de cet art est l'événement le plus significatif de ces dix ou quinze dernières années de l'histoire de l'art. L’Art singulier se répand joyeusement, spontanément en revivifiant l'ensemble de la création artistique, en lui insufflant éclat, pureté et humanité. Ce phénomène surgit et réhabilite une vérité originelle… Cette famille d'expression part à la reconquête des valeurs de l'art, de son essence première, de sa réinscription sociale. Comme les pèlerins de l'âge roman, elle installe pour cela des lieux de rencontre et de communion. »réfractaires à l’orthodoxie culturelle. – Singulier, quel paradoxe ! Les artistes ne sont-ils pas singuliers par nature ? – Pourquoi pas ? On parle bien de « culture cultivée » dans nos universités. Neuve invention, Art hors-les-normes, Primitivisme contemporain, Outsiders, Folk Art, Art brut sont ses cousins. La critique s’arrache les cheveux pour tenter de définir ce mouvement protéiforme qui justement aimerait bien s’affranchir de tout référent culturel. Comme tant d’autres groupes dans l’histoire de l’art, il est en butte à l’ostracisme d’un système ou d’une élite installée qui tient à ses prérogatives.
Un choix
Implantée en milieu rural, l’association Biz’Art-Biz’Art constitue un lieu de réveil culturel. Elle reçoit de nombreux visiteurs : touristes, voisins ruraux et citadins, écoles, personnes handicapées, isolées ou exclues de toute action culturelle. Elle propose à chacun de découvrir l’univers fascinant d’artistes remarquables en tout point. Contrairement à d’autres lieux d'exposition où le visiteur se sent exclu par le discours, la mise en scène ou un accueil inexistant : elle tâche d’être pédagogue en libérant son hôte de tous préjugés et de toutes cautions culturelles. Elle l’accueille chaleureusement. Ici, l’invité a le droit de ne pas savoir, de ne pas comprendre, de ne pas aimer.
Vaincre ses peurs
Le profane découvre alors de curieux processus de création rétablissant la sérénité, la magie, le mystère, la sensualité, la simplicité d’une esthétique affranchie. Chez les êtres sensibles, la visite libère de vives émotions. Chez d’autres, elle favorise l’introspection et suscite des élans créateurs. La première difficulté est sans doute de déranger les stéréotypes culturels et de vaincre la peur de la différence. La seconde est de retrouver et de réhabiliter l’objet d’art porteur de sens. Pour les Singuliers celui-ci est avant tout un authentique lien d’amitié. Œuvre unique, il détient le mystère et la fragilité de toute création. Intemporelle, cette dernière n’a pas de prix.
Le miroir de nos émotions
L’Art singulier semble familier parce qu’il est le miroir de nos émotions, de notre humanité. Il témoigne de notre époque, de nos cultures sans nier l’individu. Ordinaire dans ses aspirations, il est prodigieux dans ses résolutions, ses réalisations. Cet art fécond et généreux est un art vivant, accessible à tous. Sensible, insolite, inventif, spontané, il laisse peu de gens indifférents. Est-il si difficile d’accepter l’image de ce qui nous fait peur et de ce qui nous dérange ? "
* Biz’Art-Biz’Art Créateurs, collectionneurs, médiateurs, étudiants : cette association est un fabuleux brassage d’individus amoureux d’une nécessaire excentricité. Cette association milite pour la différence et la diversité culturelle. Françoise et Dominique SABLONS en sont les principaux agitateurs.
LA SINGULARITÉ S´APPROCHE MAIS NE SE DÉFINIT PAS
Propos de Jean-Claude Caire dans les pages d´Artension lorsque son directeur, Pierre Souchaud, demandait au créateur et animateur du Bulletin des Amis de François Ozenda, « fabuleux semestriel de 300 pages », de présenter un dossier sur la singularité…
" … S'agit-il d'une catégorie de plus dans l'aventure et l'arborescence de la création plastique, d'une école animée par une idéologie encore inconnue, d'un mouvement solide et structuré, d'un groupe de contestataires permanents ? Non, les singuliers apparaissent comme les tenants d'une mouvance marquée par un retour à l'inné, au sacré, au magique. Leur commun dénominateur, c'est la rupture avec un art devenu un inextricable écheveau de subtils et foisonnants courants issus des académismes officiels ou souterrains qui régissent le bien penser et le bien faire d'une époque
Le rejet par les générations montantes de modèles bien codifiés par la société à une époque donnée et en particulier au niveau de l'expression artistique, fait partie d'un processus d'évolution normal. Les « œuvres académiques », fruit de longues réflexions toutes empreintes de rationalité et de logique n'enferment-elles pas l'individu dans une prison ? Les obsessionnelles verticalités de Buren n'en sont-elles pas les barreaux ?
Et tant d'autres réalisations marquées du sceau du Pop-Art, du Boddy-Art et de bien d'autres aventures de l'art contemporain, ne représentent-elles pas le seul mobilier de cet univers carcéral ? » Les créateurs singuliers venus d'horizons divers, autodidactes bien souvent, ne se soucient nullement de théories ou de prises de positions dogmatiques. Un désir d'expression irrésistible reste le moteur essentiel et unique qui les pousse à dessiner, peindre, sculpter, transformer leur environnement, passant outre les règles. Ils œuvrent dans l'urgence, explorent les territoires inconnus de leur moi profond, enfouis sous l'apparente réalité. Beaucoup expérimentent des techniques aussi inattendues que surprenantes pour relater leurs découvertes. Allégrement, ces marginaux transgressent les codes culturels et esthétiques et ils retournent aux racines d'un expressionnisme souvent primitif, poussés par la nécessité de rendre compte, le plus authentiquement possible, de la réalité humaine et des mystères de l'existence . »
C'est de 1978, lors de l'exposition « les Singuliers de l'Art » au Musée d'Art moderne de la ville de Paris, que date la reconnaissance de quelques auteurs ayant résisté volontairement ou non à l'emprise de l'institution artistique. On devait alors leur attribuer le qualificatif de « Singuliers ». nombreux au départ, répartis de façon irrégulière à travers la France, leur nombre va croissant. La plupart, isolés, ont poursuivi en tant que créateurs des parcours non-conformistes soit durant leur vie entière, soit seulement quelques années, selon la force de leur passion. De nos jours, de plus en plus reconnus, ils tissent un réseau assez efficace, bien que sans cesse mouvant, et arrivent à travers expositions et galeries, à se faire reconnaître comme des artistes à part entière.
Les Artistes Singuliers tendent vers un état de grâce qui permet de transcender sensations, pulsions, fantasmes, rêves afin d'accéder aux prémices d'une connaissance intuitive et universelle, ouvrant sur des valeurs insoupçonnées. Dans leurs œuvres ils vagabondent dans les champs de l'imaginaire, poussent les portes des interdits, transforment de monstrueuses accumulations de déchets hétéroclites en trésors, ou cisèlent la minuscule usure du quasi impondérable. Leurs continuelles découvertes prouvent que tout peut exister en dehors du bien dit, pensé et fait.
Au fil des années, à observer leurs travaux si divers, on en arrive à établir une certaine classification. Avant tout, il s'agit de repères pour se retrouver dans cette vaste mouvance, mais en aucun cas de critères de valeur. On rencontre des œuvres dignes d'intérêt, émouvantes, surprenantes réalisées aussi bien par des individus résidant en institutions psychiatriques, que vivant dans les compagnes les plus lointaines, les banlieues sordides au senteurs tropicales ou les austères bureaux d'administrations poussiéreuses. Beaucoup d'entre eux aussi, obéissent aux normes de l'intégration sociale la plus absolue. Ainsi, voici proposée une classification tout à fait aléatoire, cernant quelques types de créateurs autodidactes :
Le racineux tire son inspiration des troncs d'arbres, des branches, des souches. Accentuant des reliefs, creusant plus profondément une orbite amorcée, il extrait un génie sylvestre resté engoncé dons l'épaisseur du bois ou bien met à jour un groupe de bestioles infernales, qu'un serpent monstrueux n'arrive pas à avaler. Son bestiaire rustique, ses nymphes biscornues, ses angelots bossus, ses monstres de bazar patiemment polis, dévoilent ses propres et tranquilles chimères.
Le tronçonneux descendant des anciens bûcherons, coupe, entaille, évide, meurtrit, ampute chêne, sapin, cèdre, olivier dans le déchaînement de son engin. Il les saigne dans des flots de sciure et en fait surgir d'étranges créatures aussi bien des muses endormies que des monstres bougonnant. Chaman de la sylve profonde, il trouve dans les entrailles du monde végétal, le reflet de son âme.
Le bétonneux poussé par le besoin obstiné de laisser trace, consciencieux travailleur à la retraite, souvent surpris par sa propre audace, élabore tout autour de sa demeure un monde aussi étrange qu'envahissant. Ses bestioles statufiées prennent date sous l'étiquette « art populaire du ciment ». Chariot, Mickey et une poignée de généraux, lui doivent quelques impérissables réalisations fort colorées. Des scènes de la vie courante extraites de l'imagerie scolaire du début du XXe siècle, servent aussi de modèles à ce paisible bâtisseur en mal d'immortalité passagère
L'environnementaliste se reconnaît à son baroquisme effréné, sa propension aux mille et un entrelacs de l'imaginaire, son détournement des objets récupérés, son délire constructiviste explosif. Ce travailleur acharné, authentique autodidacte, concepteur et réalisateur de son propre univers, n'a de cesse de bâtir: palais, cathédrale et évidemment son propre tombeau. Prisonnier de ses propres rêves, il part à l'aventure sans soucis du retour. Seul, le temps aura raison de ses somptueux édifices.
L'accumulateur bordilleux, à la fois prophète, gourou, éveilleur, poète et chiffonnier, connaît les secrets des moindres objets rejetés, usés, dépareillés, cassés, souillés. Lui seul les sauve de l'oubli, en d'étonnants montages. œuvres souvent vibrantes, intenses et poignantes, qui rappellent à beaucoup leur trajectoire dons la vie, loin de l'âme des choses et du devenir du monde. Ce recycleur fou et patient, fonctionne comme un catalyseur du processus construction/destruction qui dans l'univers ne s'arrête jamais.
L'handicapé mental à travers son dessin nous interroge sur la façon dont notre cerveau mémorise et traduit les images et les sensations perçues selon nos acquis culturels. Il explore les bases d'une authentique réalité graphique, pénètre plus avant dans le mystère des archétypes et révèle aux incrédules les énergies profondes et incontrâlées qui bouillonnent sous le crâne d'individus longtemps considérés parmi les plus frustres
Le viscéral avance toutes tripes dehors, fouillant au plus profond de lui, explorant les moindres replis de ses anses intestinales, ainsi que les cryptes les plus secrètes de ses organes génitaux. Il dissèque avec habileté son système nerveux dans ses moindres ramifications et suit avec une étrange curiosité le parcours de ses flux sanguins. Son corps exhibé tout au long de son oeuvre rappelle que chaque créature reste encore empêtrée dans la glèbe originelle, proche de la conscience première de tout ce qui vit.
Le médiumnique, dans son corps, son âme, mais aussi son dessin n'est que poussière d'étoiles. Dès qu'il communique, s'échappe de ses doigts, un peu de cette céleste pulvérulence sur la feuille blanche. De cet inconnu impalpable ainsi répandu, surgissent les plus étranges messages dictés par des personnages qui guettent les vivants en sursis et ce, depuis la nuit des temps. Il rend perceptible à tous les continuelles errances de l'homme entre le macrocosme et le microcosme.
L'« écrituriste » souvent accompagné de son compère le « jargonneur », véritable barbare du monde du dit et de l'écrit, dévaste à grands coups de stylo, de pinceaux et autres calames, l'ordonnancement tranquille des pages bien écrites et l'architecture épurée des alphabets millénaires. Désarticulant le dit et l'écrit, il interroge les lettres et les phrases, élaborant de vastes puzzles hermétiques et muets, ouvrant peut-être un jour sur d'autres univers.
Le surréalisant, à l'inverse de ses confrères autodidactes, instruit des mille et une facettes de la vie artistique, connaît les multiples et étroites frontières qui séparent chaque style, école et même mouvement d'humeur. Il a décidé d'être hors-les-normes comme l'on rentre en religion. Ses œuvres reflètent avec plus ou moins de bonheur des emprunts aux classiques de l'Art brut, aux divagations des peintres ubuesques, aux masques et oripeaux des civilisations dites archaïques comme aux folies médiumniques.
Le naïf : dessiner, peindre, même sans connaissances préalables, ne lui pose aucun problème. il exprime avec contentement la peau du monde mais ce qui se passe en dessous, ne rentre pas dans le cadre de ses compétences. Il raconte les images toutes simples d'un passé proche, celui de l'enfance, de l'innocence première, lorsque choque chose était à sa place, et que l'échelle des valeurs avait encore tous ses barreaux.
« Quoi qu'il en soit, la singularité ne se découvre pas à travers des étiquetages raffinés et référencés. Il faut pour cela humer l'air des granges hantées par les besogneux du bricolage agreste, respirer la poussière des greniers encombrés d'épouvantails terrifiants amoncelés par un quidam retraité. La singularité, c'est aussi la rencontre fortuite d'un fabricant d'ex-voto exilé dans la banalité d'une banlieue, la douloureuse lecture des graffitis du désespoir sur les murs de l'asile. La singularité, c'est retrouver cette réalité profonde de l'homme du quotidien, étouffé par des siècles de sédiments socioculturels, soudain palpitante devant nos yeux. La singularité s'approche mais ne se définit pas. »
Jean-Claude Caire dans Artension
MAIS FAUT-IL DÉFINIR TOUTE CRÉATION ?
Qu’est-ce qui pousse l’homme à vouloir tout étiqueter, cataloguer, à enfermer toute création dans une définition, un style, une expression artistique ?
L’exemple le plus frappant est celui de l’Art brut. Dans les années 1900, les psychiatres européens commencent à s’intéresser aux expressions créatrices des malades mentaux.En 1907, le docteur Meunier, en France, publie « l’Art chez les fous », Morgen Thaler, en Suisse, passionné par la personnalité et la création étrange de Wolfli (le poète Rilke et des artistes allemands comme Paul Klee, en 1912, déclarent que l’Art des fous est à prendre profondément au sérieux.), Hanz Prinzhorn, à Heidelberg, collectionne les œuvres des malades dont il a la charge et publie, en 1922, « Expression de la folie ». Max Ersnt, qui a suivi des cours de psychologie, fait découvrir aux surréalistes la collection et l’ouvrage de Prinzhorn ; les surréalistes crient « ô génie », passionnés qu’ils sont par toutes les formes d’art libre ; ils sont séduits par l’imagination féconde des malades. À la même époque, Kandinsky dénonce l’art académique et affirme ne pas s’intéresser à l’art des fous mais à « l’art spontané de personnes internées ». Dans leur recherche, les surréalistes utiliseront hypnose, drogue, rêve, tous les moyens de lever la censure inconsciente provoquée par la culture occidentale. André Breton, ancien externe en psychologie, écrit : « Si les profondeurs de notre esprit recèlent d’étranges forces capables d’augmenter celles de la surface, ou de lutter victorieusement contre elles, il y a tout intérêt à les capter. » La fascination exercée par cette forme d’art libre sur les artistes, historiens, médecins, intellectuels, ... est telle qu’elle inquiète certains partis politiques. En 1937, les nazis organiseront l’exposition de « l’art dégénéré » : les dessins de fous de Prinzhorn côtoient les peintures modernes de Nolde, Chagall, Beckmann, Klee, ... et « Il est évident que, pour les artistes représentés, l’ensemble de la réalité n’est qu’un vaste bordel. », affirme le catalogue.En 1945, Breton et Dubuffet créent la Compagnie de l’Art brut et déposent le terme « Art brut » comme on déposerait un brevet. À partir de ce moment-là, tous les organisateurs d’expositions vont commencer à chercher des étiquettes pour remplacer le terme appartenant au plus grand marchand de vin de l’Art Moderne, Jean Dubuffet. Il collectionnera lui aussi les œuvres de malades mentaux, les œuvres de bergers – qui ne faisaient certainement pas de l’Art brut mais de l’Art Populaire depuis la nuit des temps – et les œuvres de créateurs autodidactes. Le plus célèbre étant Gaston Chaissac. En 1945, Chaissac s’insurge et dit : « Je fais de l’Art Moderne rustique ! ». En 1949, il dit : « Je passe pour faire de l’Art brut mais je ne pense pas en faire ! ». En fait, Jean Dubuffet, en créant le terme « Art brut », crée un ghetto où il mélange art asilaire, art populaire, art naïf, « l’art de ceux qui osent » – les autodidactes. Il faut que vous sachiez que l’œuvre de Dubuffet-peintre est empreinte de Dubuffet-collectionneur.sortir de cet enfermement, j’ai dénombré plus de cent trente termes génériques, cent trente tiroirs pour classer l’inclassable… , quand un seul mot suffisait « LIBRE ».Luis MARCEL, 3 avril 2004. Texte publié pour L’Art dans la ville 2004, Saint-Étienne, sous le titre « Art singulier ».
Jean Dubuffet et Alain Bourbonnais : de l´art brut à l´art singulierLabels et concepts dérivés de l´art brut dans la tradition francophone
Le Concept engendre les étiquettes concurrentes
C’est une loi commune de l’histoire de l’art : chaque fois qu’apparaît un genre nouveau, le concept qui sert à le désigner essaime ensuite, au fil des générations, en une multitude de sous-catégories. Il en va de même dans le domaine de l’art outsider, l’« art brut » comme on dit dans les pays francophones, dont les dérivés, très nombreux, sont désignés aujourd’hui par une grande variété d’étiquettes synonymes ou concurrentes.En Angleterre et aux États-Unis, c’est dans le contexte plus général du Selftaught Art (S. Janis, 1942) ou du Contemporary Folk Art (H. W. Hemphill Jr., New York, 1970), qu’est apparue la notion d’art outsider (R. Cardinal, Londres, 1972), laquelle n’était rien d’autre à l’origine qu’une traduction tardive du concept français d’art brut, inventé par Jean Dubuffet en 1945. Elle correspondait donc plutôt à un rétrécissement et à un durcissement de son objet au départ. C’est pourtant cette notion contestée, au contenu assez imprécis, qui tend aujourd’hui à couvrir l’ensemble du domaine, toutes variantes confondues.
En France, où le concept d’art outsider n’a aucune raison d’être, sinon l’attrait un peu snob de la terminologie anglo-saxonne, la situation est inverse. Tout tourne autour du concept, étroitement défini, de Dubuffet, dont l’autorité historique devient quasi officielle et c’est pour désigner les dérivés de l’art brut, ouverture et assouplissement du domaine, que les Français, qui ont la tête théorique et adorent les querelles byzantines, ont inventé de nouvelles étiquettes : art hors-les-normes (J. Dubuffet, Paris, 1972), Neuve Invention (J. Dubuffet / M. Thévoz, Lausanne, 1982) ou Création Franche (G. Sendrey, Bègles, 1990). Mais c’est l’expression d’art singulier, forgée en 1978 par un autre artiste collectionneur, Alain Bourbonnais, qui l’a surtout emporté dans l’usage pour désigner les œuvres d’inspiration populaire qui, sans être de l’art brut, lui sont apparentées.Toutes ces étiquettes ont une histoire et tirent leur origine d’un territoire ou d’une collection particuliers : un véritable casse-tête pour l’amateur non spécialiste qui se trouve aussi désorienté qu’en musique, par exemple, devant toutes les sous-catégories du jazz ou du blues, du rock, du rap, etc. Car non seulement l’art brut a ses dérivés mais il a lui-même ses subdivisions, l’« art médiumnique », l’art « psychopathologique » ou l’« art des fous », et il a dû trouver sa place entre diverses notions voisines comme les « arts et traditions populaires » (G.-H. Rivière, Paris, 1937), une expression désignant en France le Folk Art rural pré-industriel, et surtout l’« art naïf » (l’art des Modern Primitives), une catégorie fortement établie en France depuis l’époque du critique Champfleury (1851) et celle du Douanier Rousseau.
1978, Les Singuliers de l’Art
Le terme d’art singulier remonte, lui, à une célèbre exposition, Les Singuliers de l’art, qui eut lieu en 1978 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et eut un succès considérable. Elle présentait des centaines d’œuvres insolites d’une cinquantaine d’autodidactes ayant pour la plupart échappé aux prospections de Dubuffet. Pour l’essentiel, il s’agissait de la collection d’Alain Bourbonnais, un nouveau venu sur la scène de l’art outsider, lui-même architecte, artiste clandestin et collectionneur. Une autre partie de l’exposition montrait des installations et vidéos sur quelques « habitants-paysagistes » et certains environnements, la maison de Picassiette, le Palais du facteur Cheval ou les domaines, moins connus, de Robert Tatin en Mayenne, et de Chomo dans la forêt de Fontainebleau.
Comme on l’apprit ensuite, c’est Bourbonnais lui-même qui, dans une discussion avec le critique et romancier Michel Ragon, avait imaginé le titre de l’exposition : c’est donc à lui que revient le mérite d’avoir involontairement inventé le nouveau concept concurrent de celui d’art brut au cours des années suivantes. Pour ma génération, qui avait manqué la dernière présentation importante des Collections de l’Art Brut au Musée des Arts Décoratifs, à Paris, en 1967, les Singuliers de l’art représentaient un choc équivalent et ce fut, pour moi et beaucoup d’autres, le début d’une aventure qui allait constituer la seconde grande étape de l’histoire de l’art brut en France, sa phase d’ouverture et de vulgarisation dans le contexte, international, de la ‘contre-culture’ des années soixante-dix finissantes. Né en 1925, une génération après Dubuffet, Alain Bourbonnais avait commencé ses recherches au milieu des années cinquante, d’une manière spontanée et sans connaître ni l’art brut ni l’existence de son défenseur. Architecte à succès – on lui doit les théâtres de Caen et de Luxembourg, une église et l’aménagement intérieur d’une station de métro parisienne – il s’était mis à amasser les trouvailles curieuses, art forain, têtes de jeux de massacre, peintures et assemblages d’anonymes autodidactes, ce qui l’avait mené lui-même, de façon clandestine, à la création d’un art de carnaval, ubuesque et rabelaisien : ses Gratte-Culs, Briculages, Custumes et autres Turbulents, qui occupaient une place de choix aux Singuliers de l’art.Bourbonnais découvre la collection Dubuffet C’est seulement en septembre 1971 qu’il avait appris l’existence de la collection de Dubuffet, au moment où la presse et la télévision annonçaient sa donation à la ville de Lausanne. Les deux hommes furent amenés à s’écrire, à se rencontrer, puis à entreprendre une collaboration, échangeant les découvertes et les adresses de créateurs intéressants quand Bourbonnais, encouragé par son prédécesseur, ouvrit l’Atelier Jacob, une galerie parisienne spécialisée. Les deux collections alors sur bien des points s’étaient rejointes et c’est une exposition Aloïse, classique de l’art brut par excellence, qui inaugura la galerie en septembre 1972 .
Il n’y a aucune différence entre l’art hors-les-normes et l’art singulier
Mais Dubuffet, sans être jaloux de l’entreprise d’Alain Bourbonnais, qui assurait la relève au moment opportun, était très pointilleux sur l’utilisation du mot art brut et il n’acceptait de prêter des œuvres à l’Atelier Jacob qu’à la condition qu’elles y soient exposées sous une dénomination différente. Par une lettre de février 1972, il avait lui-même proposé divers termes de remplacement, parmi lesquels fut choisie l’expression d’ « art hors-les-normes », qui aujourd’hui encore désigne la collection Bourbonnais présentée au musée privé de La Fabuloserie, à Dicy (Yonne). Paradoxalement le genre d’œuvres collectionnées par Alain Bourbonnais continue donc à porter en France un nom choisi par Dubuffet au départ, alors que c’est la première présentation publique de ces œuvres et le titre qu’on lui attribua qui permirent l’invention journalistique du terme d’art singulier, désignant partout ailleurs le même type de productions. Entre l’art hors-les-normes et l’art singulier il n’y a pourtant aucune différence.Deux hommes, deux collections, deux autoportraits Une collection véritable est un autoportrait de celui qui l’entreprend, un miroir des différentes facettes de sa sensibilité. Elle ne vaut que ce que vaut l’œil du collectionneur et il est naturel qu’il n’y ait jamais deux collections absolument semblables. Pour mieux sentir la différence entre l’art brut et l’art singulier, rien ne vaut une comparaison entre l’art brut historique de Dubuffet et l’art hors-les-normes de La Fabuloserie.
Les collections de Dubuffet ont trois sources principales : l’art des malades mentaux, qui constitue environ la moitié de la collection de Lausanne, les travaux ‘médiumniques’ des dessinateurs et peintres spirites et les créations, inclassables, d’individualistes marginaux de toutes sortes, reclus mystiques, révoltés ou originaux de caractère asocial. L’art brut historique n’est donc pas réductible à l’art des aliénés et il est par ailleurs étroitement lié à une époque, un grand nombre des classiques de l’art brut, nés à la fin du XIXème siècle, ayant œuvré dans la première moitié du siècle suivant, donc au temps de l’art moderne, avant les mutations de l’art contemporain .Dans la collection de La Fabuloserie il n’y a ni art médiumnique ni art des fous et la plupart des auteurs sont des autodidactes dont les plus vieux eux-mêmes, Podesta, Emile Ratier ou Pépé Vigne, étaient encore en vie au temps où Bourbonnais sillonnait la France ou l’Italie à la recherche de travaux d’exception. Dessinateur et peintre, de caractère austère, presque puritain, Dubuffet aimait les dessins et la peinture et il avait une prédilection pour les postures d’autisme et de réclusion. Bourbonnais, architecte, truculent et extraverti, préférait les volumes et les assemblages (le parc de La Fabuloserie par exemple met en scène des sculptures rescapées d’environnements disparus tout comme les Singuliers de l’art faisaient une place aux jardins et aux architectures, oubliés des collections de l’art brut), et il était plus porté sur l’humour absurde, le carnaval et les manifestations saugrenues de la créativité populaire que sur les chefs-d’œuvre de l’hallucination ou du délire. Le mérite principal des Singuliers de l’art fut donc d’introduire en France, dans un domaine paralysé par l’autorité intellectuelle de Dubuffet, un concept d’ouverture permettant la constitution d’une problématique à deux pôles, l’art brut d’un côté, l’art singulier de l’autre, et de favoriser une classification plus souple, perméable aux multiples possibilités créatives de l’art populaire. Depuis est considéré en France comme relevant plutôt de l’art brut toute création manifestant une forme d’enfermement, géographique, sociologique, physique ou mental, et entretenant les liens les plus ténus possibles avec toute espèce de tradition, d’environnement culturel ou de médiatisation. De ce point de vue c’est le créateur aliéné, incapable de conceptualiser clairement son activité, qui reste, symboliquement, le parangon du créateur d’art brut et il n’y a pas d’artiste « brut » véritable sans un médiateur lui servant d’interprète à un moment ou à un autre.Relève au contraire de l’art populaire singulier toute activité créatrice dont l’auteur, autodidacte, si marginal qu’il (ou elle) puisse être au départ, n’en entretient pas moins certains rapports avec un circuit de reconnaissance, voire finit parfois par devenir une sorte de semi-professionnel, même s’il (ou elle) ne se considère pas vraiment comme un artiste. Pascal Verbena, Simone Le Carré-Galimard, Francis Marshall, Jano Pesset, Reinaldo Eckenberger, tous découverts par Alain et Caroline Bourbonnais, sont typiquement des artistes « singuliers », tout comme l’était Philippe Dereux, l’instituteur spécialiste des épluchures, assistant de Dubuffet à Vence dans les années cinquante. Et pourtant tous ces créateurs, d’art brut ou d’art singulier, appartiennent à la même famille et tous, à des degrés divers, ont un certain nombre de caractéristiques communes : au point de vue formel, de se situer en-deçà, non au-delà, de la maîtrise du dessin et des techniques académiques (les artistes bruts ou singuliers ne « savent pas » peindre, sculpter ou dessiner, mais inventent, en urgence, leur propre manière de travailler) ; de se référer aux standards non de la culture savante mais de la culture populaire ; de privilégier la récupération, le remploi, l’usage des matériaux de rebut auxquels, par instinct d’économie, ils redonnent une seconde chance ; et de figurer un monde intérieur, souvent proche du rituel ou du sacré, un univers de formes et de symboles purement personnels, aux antipodes des illustrations rassurantes, explicites et extraverties de l’art naïf.
L’art est question de sensibilité
des deux côtés de l’œuvre…
Celle de l’artiste, du créateur, du plasticien… quelque soit le nom qu’il se donne ou l’étiquette qu’on lui colle…
Celle de l’observateur, du public, de l’autre…
Et quand ces deux sensibilités se rencontrent, qu’elles se rejettent, fusionnent, se comprennent , se regardent en chien de faïence, s’apprécient ou se détestent…
il n’est plus question de classer, d’étiqueter, de faire rentrer l’artiste et son œuvre
dans une case ou une autre…
seulement ressentir, apprécier … primitivement, naturellement…
Et pour vous qu’est ce que
l’art singulier,
l’art hors normes … ?